[Éloge de Constantin Guys, publié pour la première fois en 1863]
« J’ai déjà dit que le pinceau de M. G[uys], comme celui d’Eugène Lami, était merveilleusement propre à représenter les pompes du dandysme et l’élégance de la lionnerie. Dans cette série particulière de dessins se reproduisent sous mille aspects les incidents du sport, des courses, des chasses, des promenades dans les bois, les ladies orgueilleuses, les frêles misses, conduisant d’une main sûre des coursiers d’une pureté de galbe admirable, coquets, brillants, capricieux eux-mêmes comme des femmes. Car M. G[uys] connaît non seulement le cheval général, mais s’applique aussi heureusement à exprimer la beauté personnelle des chevaux. Tantôt ce sont des haltes et, pour ainsi dire, des campements de voitures nombreuses, d’où, hissés sur les coussins, sur les sièges, sur les impériales, des jeunes gens sveltes et des femmes accoutrées des costumes excentriques autorisés par la saison, assistent à quelque solennité du turf qui file dans le lointain; tantôt un cavalier galope gracieusement à côté d’une calèche découverte, et son cheval a l’air, par ses courbettes, de saluer à sa manière. La voiture emporte au grand trot, dans une allée zébrée d’ombre et de lumière, les beautés couchées comme dans une nacelle, indolentes, écoutant vaguement les galanteries qui tombent dans leur oreille et se livrant avec paresse au vent de la promenade.
La fourrure ou la mousseline leur monte jusqu’au menton et déborde comme une vague par-dessus la portière. Les domestiques sont roides et perpendiculaires, inertes et se ressemblant tous […].
Un autre mérite qu’il n’est pas inutile d’observer en ce lieu, c’est la connaissance remarquable du harnais et de la carrosserie. M. G[uys] dessine et peint une voiture, et toutes les espèces de voitures, avec le même soin et la même aisance qu’un peintre de marines consommé tous les genres de navires. Toute sa carrosserie est parfaitement orthodoxe; chaque partie est à sa place et rien n’est à reprendre. Dans quelque attitude qu’elle soit jetée, avec quelque allure qu’elle soit lancée, une voiture, comme un vaisseau, emprunte au mouvement une grâce mystérieuse et complexe très difficile à sténographier. Le plaisir que l’œil de l’artiste en reçoit est tiré, ce semble, de la série de figures géométriques que cet objet, déjà si compliqué, navire ou carrosse, engendre successivement et rapidement dans l’espace.
Nous pouvons parier à coup sûr que, dans peu d’années, les dessins de M. G[uys] deviendront des archives précieuses de la vie civilisée. Ses œuvres seront recherchées par les curieux autant que celles des Debucourt, des Moreau, des Saint-Aubin, des Carle Vernet, des Lami, des Devéria, des Gavarni, et de tous ces artistes exquis qui, pour n’avoir peint que le familier et le joli, n’en sont pas moins, à leur manière, de sérieux historiens (...). Moins adroit qu’eux, M. G. garde un mérite profond qui est bien à lui: il a rempli volontairement une fonction que d’autres artistes dédaignent et qu’il appartenait surtout à un homme du monde de remplir; il a cherché partout la beauté passagère, fugace, de la vie présente, le caractère de ce que le lecteur nous a permis d’appeler la modernité. Souvent bizarre, violent, excessif, mais toujours poétique, il a su concentrer dans ses dessins la saveur amère ou capiteuse du vin de la vie »
Image :
La promenade, par Eugène Guérard, estampe, XIXe siècle.
National Car and Tourism Museum, Compiègne © RMN-Grand Palais / Stéphane Maréchalle