[L’action se situe en 1848]
« …Alors passa devant eux, avec des miroitements de cuivre et d’acier, un splendide landau attelé de quatre chevaux, conduits à la d'Aumont par deux jockeys en veste de velours, à crépines d’or […]
La berline se lança vers les Champs-Élysées au milieu des autres voitures, calèches, briskas, wurts, tandems, tilburys, dog-carts, tapissières à rideaux de cuir où chantaient des ouvriers en goguette, demi-fortune que dirigeaient avec prudence des pères de famille eux-mêmes. Dans des victorias bourrées de monde, quelque garçon, assis sur les pieds des autres, laissait pendre ses deux jambes. De grands coupés à siège de drap promenaient des douairières qui sommeillaient : ou bien un stepper magnifique passait, emportant une chaise, simple et coquette comme l’habit noir d’un dandy […]
Par moment, les files de voitures, trop pressées, s’arrêtaient toutes à la fois sur plusieurs lignes. Alors on restait les uns près des autres, et l’on s’examinait. Du bord des panneaux armoriés, des regards indifférents tombaient sur la foule ; des yeux pleins d’envie brillaient au fond des fiacres... Puis tout se remettait en mouvement ; les cochers lâchaient les rênes, abaissaient leurs fouets ; les chevaux, animés, secouant leur gourmette, jetaient de l’écume autour d’eux ; et les croupes et les harnais humides fumaient dans la vapeur d’eau que le soleil couchant traversait. Passant sous l’Arc de Triomphe, il allongeait à hauteur d’homme une lumière roussâtre, qui faisait étinceler les moyeux des roues, les poignées des portières, le bout des timons, les anneaux des sellettes. »
Image :
En promenade pour le bois de Boulogne, peinture par Ernest Alexandre Bodoy, vers 1888
© RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / René-Gabriel Ojéda